Guinée-Kankan : premier jour du procès de Bangaly Traoré, sous haute tension et regards rivés sur la justice

Dans une salle d’audience pleine à craquer et suspendue au moindre mot, Bangaly Traoré a finalement brisé le silence. Ce mardi 8 avril 2025, au Tribunal de première instance délocalisé exceptionnellement à la Cour d’appel de Kankan, l’accusé a reconnu les faits : il est bien l’auteur du meurtre d’Adama Konaté, mère de six enfants.

“Je reconnais les faits, je demande pardon.”

Ces mots, lâchés d’une voix calme mais lourde de sens, ont provoqué une onde de choc dans la salle. D’un procès sous tension, la journée a viré au théâtre d’un aveu glaçant, méthodique, presque déroutant. Dès son passage à la barre, Bangaly Traoré, marié à deux femmes et père de sept enfants, a détaillé avec précision les circonstances du drame qui a coûté la vie à Adama Konaté, le 20 mars dernier.

Un féminicide prémédité

Selon ses propres déclarations, Traoré entretenait une relation amoureuse avec la victime, allant jusqu’à prétendre avoir « donné sa dot » en vue d’un mariage. Il affirme qu’ils étaient ensemble à Siguiri la veille du meurtre, et qu’ils ont rejoint Kankan ensemble. Le lendemain, n’obtenant pas de réponse à ses appels, il se rend au magasin d’Adama où, raconte-t-il, un simple refus de chaise aurait mis le feu aux poudres.

« Je lui ai dit si elle avait trouvé un autre prétendant de bien réfléchir. Je me suis mis en colère, j’ai acheté une machette. J’ai beaucoup réfléchi, mon cœur m’a dit d’aller la tuer et me tuer en même temps », a-t-il lancé devant une assistance médusée.

C’est ensuite un récit froidement prémédité qu’il déroule : l’achat d’un couteau à 20 000 GNF, l’acquisition d’un herbicide censé l’aider à mettre fin à ses jours, puis le passage à l’acte. « Après l’avoir poignardée, j’ai bu l’herbicide, mais je ne savais pas que ce produit ne pouvait même pas me tuer. »

Un aveu sans émotion

Fait troublant : à aucun moment Bangaly Traoré n’a montré de réelle émotion. S’il a demandé pardon, il affirme aussi ne pas avoir compris sur le coup qu’il avait ôté une vie. « Ce n’est qu’à l’hôpital que j’ai réalisé que je l’ai tuée. Je ne fume pas, je ne me drogue pas », a-t-il ajouté, comme pour tenter de souligner la lucidité de son geste.

Une ville, un pays en attente de justice

Dans la salle, l’émotion est à son comble. Les proches de la victime, les défenseurs des droits des femmes, et une grande partie de la population de Kankan suivent l’audience comme un miroir d’une société meurtrie. Le nom d’Adama Konaté, arrachée à la vie de manière brutale, résonne comme le symbole d’une lutte plus large contre les violences faites aux femmes.

Me Aïssata Kourouma, avocate de la famille, ne décolère pas : « Ce que nous avons entendu aujourd’hui dépasse l’entendement. Ce procès doit être un signal fort. »

Un procès test pour l’appareil judiciaire

Alors que les débats vont se poursuivre dans les jours à venir, les attentes sont énormes. Car ce procès est bien plus que celui de Bangaly Traoré : c’est une interpellation collective sur la justice, la protection des femmes, et la fin de l’impunité dans les affaires de violences conjugales et féminicides en Guinée.

Dans une Kankan encore en deuil, les regards sont tournés vers le prétoire. Et dans le silence pesant des bancs, une question s’impose : jusqu’à quand faudra-t-il compter les mortes avant que la justice n’inverse la peur ?